Myriam El Khomri

« La branche du travail temporaire a souvent joué un rôle majeur en matière d’innovation »

La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail est entrée en vigueur le 31 mars 2022. Comment le travail temporaire, qui souhaite incarner la flexibilité responsable, peut-il progresser sur ce terrain ?

La branche du travail temporaire a souvent joué un rôle majeur en matière d’innovation et de nombreuses actions sont déjà menées dans ce secteur. Il est essentiel que les entreprises utilisatrices (EU) soient encore plus actrices et actives sur les enjeux de sécurité des intérimaires.

Dans l’optique de la loi du 2 août 2021, et au regard des spécificités d’emploi du secteur du travail temporaire, il s’agit d’apporter aux salariés une meilleure anticipation des besoins en flexibilité avec la garantie de conditions de travail adaptées, couplées à une évolution de l’employabilité.

Une gestion responsable passe par davantage de formes internes de flexibilité (réorganisation du travail et flexibilité des horaires par exemple). Elle doit aussi s’assurer de privilégier un environnement de travail sécurisé pour prévenir les risques professionnels, et limiter la désinsertion professionnelle en cas d’arrêt de travail prolongé.

Pour ce faire, 4 objectifs sont à privilégier pour améliorer la santé des salariés intérimaires :

  • renforcer l’évaluation des risques aux postes occupés par ces salariés,
  • améliorer l’échange d’informations entre les acteurs de la santé au travail,
  • favoriser la visibilité des intérimaires pour les services de santé au travail ou pour les médecins des entreprises utilisatrices,
  • aligner les pratiques de prévention entre les salariés de l’EU et les intérimaires (échauffement, brief sécurité …)

Plus globalement, quels seraient les leviers pertinents pour modifier en profondeur les comportements de tous les acteurs et contribuer ainsi à réduire les accidents et maladies professionnels et augmenter les taux d’emploi et la durée des carrières ?

Il faut davantage d’efficience et d’efficacité dans la prévention des risques professionnels, notamment dans les secteurs à prédominance féminine et particulièrement dans les activités de services (santé, action sociale, nettoyage et travail temporaire). Les secteurs qui peinent à recruter doivent s’emparer du sujet pour faire face aux enjeux d’attractivité des conditions de travail ou d’emploi auxquels ils sont confrontés.

La mise en place d’une véritable politique de prévention des risques professionnels doit être l’affaire de tous : entreprise de travail temporaire, entreprise utilisatrice et salarié. Elle permet de favoriser l’emploi et la gestion des carrières dans un secteur d’activité souvent décrit comme précaire. Je suis favorable à un partage des cotisations accidents de travail et maladies professionnelles qui soit davantage responsabilisant pour les entreprises utilisatrices. En effet, ce sont elles qui définissent les postes de travail des salariés intérimaires et l’environnement dans lequel s’exécutent les missions.

En quoi la donnée statistique, y compris celle sur le champ de l’absentéisme, des maladies professionnelles et des accidents de travail, devient-elle un enjeu stratégique pour l’emploi aujourd’hui ?

Les données statistiques sur les accidents et maladies professionnelles sont des informations précieuses pour analyser et mesurer les coûts humains et financiers supportés par les entreprises et les collectivités.

En 2020, les AT et maladies professionnelles ont été responsables de 65.3 millions de journées non travaillées, c’est l’équivalent de 281 858 emplois à temps plein. Les conséquences directes pour les employeurs sont :

  • des taux élevés de cotisation AT/MP et prévoyance,
  • une désorganisation opérationnelle et une perte de productivité,
  • des temps de gestion de dossiers considérables (remplacement, formation …),
  • et dans de nombreux cas, un impact sur la charge de travail des présents, ce qui peut générer un cercle vicieux en matière d’absentéisme.

Un meilleur pilotage des indicateurs d’absentéisme est indispensable pour permettre aux différents acteurs du tissu économique de prendre des décisions afin de réduire l’impact et d’anticiper le coût sur l’activité.

Sur le plan humain, les impacts sont multiples : intensification et contraintes de rythme de travail, situations de sous-effectif, désorganisation de l’activité… Ce sont des indicateurs qui questionnent sur l’organisation du travail en entreprise et les conditions de travail en général. La précarité de statut, en CDD ou peu formé, peut aussi générer des situations conduisant à des accidents de travail chez les jeunes notamment.

De même, par leur ampleur et leur inégale répartition, les accidents du travail contribuent aux inégalités sociales de santé. Celles-ci sont d’ailleurs importantes : le gradient social de santé, c’est-à-dire l’écart entre l’espérance de vie d’un ouvrier et d’un cadre, est très important en France (il est de 6,4 ans pour les hommes, de 3,2 ans pour les femmes – Insee, 2016).


REPERE – Statistiques d’évolution des accidents de travail entre 2001 et 2019 :

S’il faut saluer les progrès réalisés dans certains secteurs, les dynamiques sont très hétérogènes selon les métiers. Les statistiques doivent nous permettre d’alerter les employeurs en cas d’écart important avec la sinistralité de leur secteur et agir de façon ciblée selon les spécificités de chaque métier.
Les accidents de travail concernent en 2019, plus de 650 000 salariés en France, dont 63% d’hommes et 37% de femmes

Source : ANACT – mars 2022

Depuis 2001, les secteurs les plus accidentogènes pour les femmes sont les activités de services (santé, action sociale, nettoyage, travail temporaire), le commerce et les industries de l’alimentation.

Si l’on regarde par classes d’âge, les jeunes travailleurs ont un taux de fréquence d’accidents du travail plus élevé. Mais le taux de gravité est plus important chez les travailleurs plus âgés.

Les maladies professionnelles concernent au total en 2019 plus de 50 000 personnes, autant de femmes (avec 25 347 maladies professionnelles) que d’hommes (25 045) dans les 9 branches d’activités.

Source : ANACT – mars 2022

Pour consulter les archives des invités : Lire les articles de nos invités 

Myriam El Khomri
Myriam El Khomri
Myriam El Khomri est Directrice du Conseil au sein de Groupe DIOT-SIACI.

Ses autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Articles associés

Derniers articles

Quand le digital brouille les lignes

Alexandre Pham, créateur du groupe Mistertemp’, démontre que, contrairement aux idées reçues, le moyen de trouver un emploi n’a en réalité rien à voir avec le statut contractuel du travailleur. Il décrypte les conséquences du modèle de certaines plateformes.

Professionnaliser la lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme

L'illettrisme touche 2,5 millions de personnes en France dont près de la moitié d’entre elles a plus de 45 ans. Ces personnes ont été scolarisées, parlent français et exercent une activité professionnelle mais elles ne maîtrisent pas les fondamentaux de la lecture, de l'écriture ou du calcul. Notre secteur, comme tous ceux qui emploient un grand nombre de personnes peu qualifiées, est au premier rang pour contribuer à lutter contre ce phénomène qui fragilise l’employabilité de toutes les personnes concernées.

Grégoire Loiseau

Professeur à l’Université de Panthéon-Sorbonne, Grégoire Loiseau commente le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 9 janvier 2023 concernant une plateforme de mise à disposition de personnel.

Vous souhaitez recevoir les derniers articles ?

Abonnez-vous à nos alertes.