La directive européenne corrige le déséquilibre des pouvoirs dans le cadre du travail via une plateforme

La directive sur le travail via des plateformes a été adoptée par le Parlement Européen le 24 avril 2024, par 554 voix (contre 24 abstentions et 56 voix contre), un peu plus d’un mois après l’accord des ministres de l’Emploi et des Affaires Sociales des vingt-sept Etats membres. Il aura fallu attendre le 14 octobre 2024, pour que le Conseil de l’Union européenne approuve finalement le texte et qu’il puisse être publié au Journal officiel de l’UE le 11 novembre.

Pourquoi l’adoption de la directive visant à améliorer les conditions d’emploi des travailleurs des plateformes est-elle importante ?

La directive, dont le projet avait été rendu public par la Commission européenne le 9 décembre 2021, a eu un processus législatif chaotique en raison de la disparité très forte entre les positions des 27 Etats membres. Ces derniers mois, les présidences successives au Conseil ont essayé de trouver un texte de compromis, sans succès. Finalement, à quelques semaines des élections européennes, l’adoption du compromis au Conseil, le 11 mars, puis le vote en session plénière du Parlement européen le 24 avril étaient quasiment inespérés.
Edulcoré lors des derniers arbitrages, l’ambition centrale du texte est néanmoins conservée : le texte instaure une présomption de salariat.

Pouvez-vous préciser ce que la directive relative aux conditions d’emploi des travailleurs des plateformes introduit comme nouveauté ?

Le texte introduit une présomption de relation de travail, c’est-à-dire une présomption de salariat, dès lors que des faits indiquent la présence d’un contrôle et d’une direction sur la personne qui exécute un travail par le biais d’une plateforme, conformément au droit national et aux conventions collectives, et en tenant compte de la jurisprudence européenne. La directive oblige les États membres, lors de sa transposition dans le droit national d’ici le 2 novembre 2026, à établir une présomption légale d’emploi salarié dans le but de corriger le déséquilibre de pouvoirs entre la plateforme de travail numérique et la personne effectuant un travail via une plateforme. Lorsqu’un travailleur revendiquera l’application de la présomption sur la base des critères fixés par la loi de transposition, ce qu’il pourra faire dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une procédure administrative, ce sera à la plateforme de prouver, le cas échéant, que la relation contractuelle n’est pas une relation de travail.
Concrètement, c’est LA mesure phare du texte en ce qu’elle vise à lutter contre le faux travail indépendant.

Comment l’adoption de cette directive va-t-elle contribuer à améliorer les conditions d’emploi des travailleurs des plateformes ?

De nombreux travailleurs indépendants travaillent par le biais de plateformes, de VTC, de livraison, de placement de travailleurs, etc. Des plateformes se sont spécialisées dans la mise en relation entre des micro-entrepreneurs et des entreprises clientes. Dans la pratique, la plupart des micro-entrepreneurs ne sont pas cependant, en réalité, indépendants dans la mesure où le client ou la plateforme, voire les deux conjointement, dirigent et contrôlent la personne qui est censée être autonome. Des contentieux ont commencé à être engagés devant les Conseils de prud’hommes (cf. lien vers article du 12 mai 2023) mais cela nécessite, pour les travailleurs, de devoir faire valoir leurs droits individuellement en rapportant la preuve d’un lien de subordination. On peut dès lors attendre de la présomption de salariat qu’elle facilite la reconnaissance de la qualité de salarié et, subséquemment, l’accès au statut qui lui est lié.
In fine, les travailleurs qui le souhaitent pourront avoir accès à tous les avantages sociaux dont bénéficient les salariés (respect du droit du travail, mutuelle, prévoyance, assurance chômage, prévention des accidents du travail, formation professionnelle, etc.). Ceux qui le souhaitent, car certains d’entre eux, notamment lorsque l’activité exercée est une activité secondaire, pourraient faire le choix de conserver le statut de micro-entrepreneur pour profiter d’une plus grande flexibilité dans la réalisation de celle-ci. La présomption de salariat, qualifiée de « facilitation procédurale en faveur des personnes exécutant un travail via une plateforme », ne devrait pas a priori s’appliquer contre la volonté des intéressés.
Une réserve doit cependant être faite en ce qui concerne les plateformes qui, singeant l’intérim en s’affranchissant de sa règlementation, recrutent des micro-entrepreneurs pour les mettre à disposition d’entreprises clientes dans lesquelles ils effectuent des missions temporaires. Le masque de l’intermédiation tombant, les juges reconnaissent aujourd’hui l’existence d’un contrat de travail entre le micro-entrepreneur et la plateforme exerçant, de fait, l’activité d’entreprise de travail temporaire (cf CPH Créteil, 3 octobre 2024, n° 23/00710). La présomption de salariat qui, demain, devrait opérer dans cette situation également devrait avoir, au-delà de son effet individuel, des conséquences par ricochet.

« Dès lors que des travailleurs accèderont à la qualité de salariés par le jeu de la présomption, la plateforme qui les met à disposition aura en effet, de jure, le statut d’entreprise de travail temporaire. »

C’est ce qui s’infère de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui juge que la directive 2008/104 du 19 novembre 2008 relative à l’intérim s’applique à toute entreprise qui met un travailleur auquel elle est liée par un contrat de travail à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour y travailler de manière temporaire, peu importe que cette entreprise ne se soit pas fait reconnaître dans la législation interne comme une entreprise de travail intérimaire (CJUE, 24 octobre 2024, affaire C-441/23, Omnitel Comunicaciones SL).

Quelles seront les conséquences de l’adoption de cette directive pour les plateformes ?

Les plateformes devront mettre en place des procédures pour s’assurer que les travailleurs intervenant sous le statut de micro-entrepreneurs le sont réellement, sous le contrôle, le cas échéant, de l’inspection du travail.
Les plateformes auront par ailleurs des obligations particulières de protection des données personnelles des travailleurs, que ces derniers aient la qualité de salariés ou celle d’indépendants. Spécialement, il leur sera interdit de traiter certains types de données personnelles, comme les données relatives à l’état émotionnel ou psychologique et de procéder à certains types de traitements, notamment pour en déduire l’état de santé des travailleurs.
La directive prévoit en outre que les plateformes devront faire preuve de transparence en fournissant diverses informations aux travailleurs, à leurs représentants ainsi qu’aux autorités nationales compétentes. Parmi les informations mises à la disposition des représentants des travailleurs des plateformes et des autorités compétentes figurent :

  • le nombre de personnes exécutant un travail via une plateforme par l’intermédiaire de la plateforme de travail numérique concernée, ventilé par niveau d’activité, et leur statut contractuel ou professionnel ;
  • les conditions générales fixées par la plateforme de travail numérique et applicables à ces relations contractuelles ;
  • la durée moyenne d’activité, le nombre moyen d’heures travaillées par semaine et par personne et le revenu moyen provenant de l’activité des personnes exécutant régulièrement un travail via une plateforme par l’intermédiaire de la plateforme de travail numérique concernée ;
  • les intermédiaires avec lesquels la plateforme de travail numérique a une relation contractuelle.

Enfin, le texte s’empare de la question de la gouvernance algorithmique des travailleurs. Il fait obligation aux plateformes de fournir aux travailleurs des informations sur les systèmes de surveillance automatisés et sur les systèmes de prise de décision automatisés. Les plateformes devront en outre opérer un contrôle humain sur les décisions importantes qui affectent directement les personnes effectuant un travail par leur intermédiaire.

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Grégoire Loiseau
Grégoire Loiseau
Grégoire Loiseau est Professeur de droit à Paris I Panthéon-Sorbonne.

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