Renforcer le CDI Intérimaire pour lutter contre la précarisation du marché du travail

Au cours des vingt dernières années, le marché du travail a connu une mutation accélérée : l’économie enregistre des transferts massifs d’emplois de l’industrie vers les services. La tertiarisation a encouragé le développement de prestations de services et de nouveaux modes d’organisation du travail se sont mis en place.
Dans ce contexte, des formes d’emploi « atypiques », parfois à la frontière voire en dehors de la légalité se sont développées, accentuant la précarisation d’une partie des actifs.

La multiplication des formes d’emploi atypiques dresse un panorama de nouvelles précarités dans l’emploi

En 2019, 9,2 millions de contrats à durée déterminée d’usage (CDDU) ont été signés. Leur durée médiane est de 2 jours et 42 % ont une durée inférieure à un jour. Celui-ci se concentrerait sur un nombre récurrent de 80 000 personnes qui signeraient en moyenne 46 CDDU dans l’année. Cette forme de CDD ne bénéficiant d’aucune indemnité compensant le caractère temporaire du contrat, ni d’aucune limite dans l’enchainement des contrats, s’est rapidement développé, et a plus que doublé au cours des 15 dernières années.

La précarisation s’est également manifestée par le dévoiement de formes tripartites d’emplois salariés moins protectrices, au travers d’emplois en CDD proposés par les Groupements d’employeurs. Un avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), pour l’année 2018, fait état de 6.500 groupements employant 45 000 salariés en équivalent temps plein. Ce secteur est malheureusement sujet à une « marchandisation » croissante, marquant la volonté de certains groupements de s’émanciper du champ associatif dans lequel ils évoluent et de recruter des salariés en CDD pour les mettre à disposition de leurs adhérents.

La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a créé le statut d’auto-entrepreneur, lequel permet à des « indépendants », à titre principal ou exclusif, de proposer des prestations ponctuelles à des entreprises, en dehors de toute contrainte « d’égalité de traitement » et sans aucune prise en compte du risque lié aux accidents du travail. Si cette modalité de prestation est adaptée lorsque l’actif dispose d’une réelle autonomie, d’une expertise spécifique et n’est pas exposé au risque d’accident, celle-ci pose un problème redoutable dès lors qu’elle se substitue à l’emploi salarié.

En 2021, les auto-entrepreneurs représentent près de 2 millions de personnes dont moins de 900000 déclarent un chiffre d’affaires positif au cours du dernier trimestre observé.
Selon une étude de 2019 de l’Insee sur les travailleurs indépendants, un indépendant sur cinq subit une relation de dépendance économique par rapport à une autre entité, qu’il s’agisse d’un client, d’une relation amont (groupement, centrale d’achat ou coopérative, franchise, licence de marque, location gérance, etc.) ou d’un intermédiaire (plateforme numérique, par exemple). Les dépendants d’un intermédiaire (y compris d’une plateforme numérique) représentent selon l’Insee 4 % du total de ces actifs soit 121 000 personnes.

Cette montée en puissance de ces « faux autoentrepreneurs » est révélatrice du développement de pratiques managériales consistant à externaliser des emplois salariés, afin de s’affranchir du contrat de travail et de bénéficier d’une flexibilité supplémentaire.

Enfin, initiée en 2018, l’expérimentation relative au CDI d’employabilité introduite par un amendement parlementaire et sans étude d’impact préalable, instaure un « CDI au rabais ». Ce contrat n’apporte pas les mêmes garanties de protection sociale ni de formation que le CDI Intérimaire, et son coût de revient est d’environ 15% inférieur. Il pourrait menacer ce dernier sans les assouplissements significatifs du cadre juridique actuel excessivement contraignant du CDII que propose Prism’emploi.

Le risque de précarisation est également la conséquence de l’obsolescence des compétences

Protecteur à court terme, le CDI ne l’est plus à moyen terme si cette sécurité juridique n’est pas accompagnée d’actions de formation et d’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Plus encore depuis la crise du Covid, des enquêtes montrent que le besoin de transformation des compétences a changé de dimension. Les DRH estiment que désormais ce sont près de la moitié des emplois qui présentent un risque d’obsolescence dans les trois ans. 81% des salariés considèrent que le contenu de leur travail pourrait évoluer et le quart d’entre eux que leur métier pourrait être amené à disparaître. Pour tenir compte de ce nouvel environnement, les opportunités de formation doivent se multiplier, les savoir-faire techniques se synchroniser avec les compétences, notamment transversales, relationnelles et numériques, désormais attendues sur le marché du travail.
L’entretien et l’élévation de l’employabilité doivent donc être au cœur de la lutte contre la précarité et constituent les objectifs centraux de l’accord de branche conclu le 20 juillet 2020.

Face à cette double lacune, défauts de sécurisation de nouvelles « flexibilités » et désynchronisation entre les compétences disponibles et celles attendues, le CDI Intérimaire, innovation sociale apportée par la branche du TT depuis 2014, possède tous les attributs pour jouer un rôle majeur.

Le CDII : un instrument de flexibilité responsable

En effet, le CDI Intérimaire apporte à ses bénéficiaires des garanties inégalées en termes d’emploi, de revenu, de formation et de protection sociale. Il constitue de toute évidence le modèle de flexibilité responsable le plus abouti. Toutefois la transposition à ce contrat de certaines règles héritées de l’exercice du travail temporaire, demeure un obstacle à son développement à plus grande échelle.

Le maintien de certaines contraintes du CDII constitue un obstacle à la sécurisation des parcours

Au regard des mutations considérables de l’emploi sur des territoires très diversement touchés par une crise sanitaire et économique sans précédent, il paraît indispensable de faire évoluer le cadre du CDI intérimaire. Cette adaptation est indispensable afin qu’il puisse résister à la concurrence des nouvelles formes d’emploi décrites précédemment tout en conservant ses avantages sociaux. Pour ce faire, plusieurs évolutions réglementaires nous paraissent primordiales.


Supprimer les cas de recours

Une entreprise utilisatrice ne peut faire appel à un salarié intérimaire en CDI qu’aux conditions de recours à l’intérim « classique ». La mise à disposition n’est possible que pour exécuter une tâche précise et temporaire dans les cas limitativement énumérés (remplacement d’un salarié absent ou accroissement temporaire de l’activité). Le maintien des motifs de recours du travail temporaire (motivé par le risque de substitution d’un emploi durable par un emploi temporaire) ne semble pas justifié dans la mesure où le CDI intérimaire est, par définition, un contrat à durée indéterminée.


Supprimer les contraintes de durée des missions en CDII

La mise à disposition au sein d’une même entreprise ne peut excéder 36 mois. Cette limite arbitraire fait peser un risque inutile sur l’emploi d’une personne qui aurait la possibilité de poursuivre sa mission au-delà. Pour contribuer au rallongement de la durée des missions lorsque cela est possible, il convient d’abandonner le principe de limitation de la durée des CDII.

La mise à disposition d’autoentrepreneurs, le CDI d’employabilité, le dévoiement des groupements d’employeurs ou du portage salarial… pour ne citer que ces schémas de « mise à disposition » n’apportent pas le même niveau de garantie que le CDII et pourtant ne sont ni concernés par les contraintes des cas de recours, ni par la limitation de la durée des missions.

Aussi le “déverrouillage” du CDII permettrait de favoriser la transformation, à plus grande échelle, de contrats à durée limitée en contrats durables et inciterait les entreprises qui cantonnent des « salariés » dans des formes d’emplois externalisés instables et précaires à opter pour une flexibilité responsable et protectrice. Parallèlement, il paraît indispensable de clarifier l’exercice des activités de mise en relations tripartites et de mettre un terme à certaines expérimentations hasardeuses.

Aline Crépin
Aline Crépin
Aline Crépin est membre du conseil d’administration de Prism’emploi et préside la commission économique.

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