Sylvie Charrière, député de Seine-Saint-Denis et Pascal Picault, président de la Fédération des directeurs de CFA-OFA (Fnadir), échangent sur la nécessité d’améliorer la connaissance réciproque du monde de l’entreprise et de l’univers éducatif afin de parfaire les conditions de l’apprentissage.
Comment, selon-vous, améliorer radicalement la connaissance mutuelle de l’entreprise et du système éducatif ?
Sylvie Charrière : Il faut prendre le mal à la racine, c’est-à-dire dès l’école où se forgent les représentations que les jeunes vont avoir du monde du travail. Nous voyons que l’image de l’entreprise est dégradée dans l’esprit des enseignants du fait que la plupart n’y ont jamais mis les pieds. Le travail d’acculturation doit être instauré dans les instituts de formation des enseignants. Une acculturation à ce monde doit progresser. Les entreprises peuvent pareillement avoir intérêt à mettre un pied dans le monde scolaire.
Pascal Picault : Il faut aider les entreprises à changer leur posture culturelle. Accueillir un jeune, c’est s’engager dans sa formation et sa promotion et travailler à le faire réussir. Il faut donc parler de pédagogie dans les entreprises. À la Fnadir, nous appelons à la création d’un référentiel national de formation de tuteurs et de maîtres d’apprentissage ; il sera question de pédagogie. Il ne faut pas stopper le contrat dès que l’on constate qu’un jeune n’a pas intégré tous les codes de l’emploi. Au contraire, c’est à ce moment précis que le vrai travail d’accompagnement commence. Pour cela, il faut apporter à ces maîtres d’apprentissage, dont ce n’est pas le métier premier, les outils pour mener à bien cet accompagnement.
Comment encourager les entreprises et les accompagner pour amplifier encore l’apprentissage ?
« Les choses n’avanceront que si les entreprises font preuve d’une bienveillance vis-à-vis des publics éloignés de l’emploi et de leur inclusion. » Sylvie Charrière
PP : Nous accompagnons les entreprises sur du moyen terme. L’entreprise doit consentir cet investissement dans la durée pour accompagner le jeune dans son accomplissement dans le métier et dans sa citoyenneté. Cela relève des 14 missions attribuées aux CFA-OFA. Nous sommes convaincus qu’en accédant avec succès à un premier emploi, un jeune intègre le statut de citoyen, ce qui lui permet de compter “pour de vrai” dans le monde social et économique. C’est le meilleur moyen de lier éducation, GPEC et citoyenneté.
SC : A mon sens, c’est également la formation in situ qui permettra de rendre le circuit plus fluide. Cela sera a priori acté par un bloc de compétences déposé au RNCP à France Compétences. L’idée est d’étiqueter la compétence qui s’acquiert sur le terrain. Les choses n’avanceront que si les entreprises font preuve d’un investissement sociétal, d’une bienveillance vis-à-vis des publics éloignés de l’emploi et de leur inclusion. C’est une forme d’expérimentation permanente.
Pour rassurer les enseignants, il faut travailler sur la transversalité et les compétences de base. L’expérience de l’Allemagne montre que les gens ont du mal à se reconvertir et à rebondir. Nous devons donc aussi avancer sur ces sujets en formant des citoyens qui ont déjà une culture et des soft skills acquis dès le collège.
Est-il possible de faire évoluer les blocs de compétences dans la réalité des besoins des entreprises et de les faire évoluer rapidement au sein même de l’école ?
PP : Oui, mais il existe deux façons de se certifier. Il y a en effet le diplôme, mais aussi le titre professionnel. Ce n’est pas pareil. Le diplôme est une finalité, un gage d’insertion, le titre également mais avec une dimension adéquation à l’emploi plus importante que le diplôme. Dans un parcours d’alternance, la mise en place de micro-certifications (à l’image des open badges) permettrait de reconnaître la formation, même sans diplôme final. Les CFA pourraient intégrer ces micro-certifications dans le parcours complet et leur donner une valeur sur le marché de l’emploi.
En France, le diplôme reste une valeur culturelle ancrée, sésame pour l’emploi, mais 20 open badges sur un parcours de deux ans devraient avoir de la valeur sur le marché de l’emploi. Le sujet n’étant évidemment pas d’opposer diplôme et certification des compétences, mais bien une autre façon d’aborder les réponses formation-emploi.
« Il faut à aider les entreprises à changer leur posture culturelle. Accueillir un jeune, c’est s’engager dans sa formation et sa promotion et travailler à le faire réussir. » Pascal Picault
Au final, comment insuffler plus de fluidité dans des écosystèmes territoriaux forcément multi-partenariaux ?
SC : Je m’investis beaucoup dans le dispositif « Les Cités éducatives ». Au nombre de 200, elles accompagnent les jeunes des quartiers prioritaires. La tranche des 16-25 ans est très complexe, car identifier les jeunes dits “invisibles” ne se fait pas avec un fichier mais avec un travail de proximité. Certaines associations font du porte-à-porte pour informer sur la formation. Après cette première étape d’identification, succède souvent une étape de remobilisation, de travail sur la confiance, l’estime de soi, la levée des freins périphériques (santé, mobilité, …) puis une troisième de pré-qualification autour d’un travail des compétences de bases, des savoir-être et du projet professionnel. Le département intervient pour lever les problèmes sociaux notamment de santé et de mobilité. Ensuite se pose le problème des offres de formations pré-qualifiantes, financées par les régions, qui ne sont pas disponibles partout et à tout moment. Cela montre la complexité pour créer un écosystème, car il y a une pluralité d’acteurs. Mais c’est l’enjeu majeur si l’on veut plus de fluidité.