L’IA Act constitue un cadre solide pour l’utilisation de l’IA dans les services RH

Sonja van Lieshout, Présidente de WEC-Europe répond aux questions de Prism’emploi Le Blog, sur les enjeux de l’IA Act.

Publié au Journal officiel de l’Union européenne le 12 juillet 2024, le règlement européen sur l’intelligence artificielle, IA Act, entre progressivement en application. Première législation générale au monde sur l’intelligence artificielle, il vise à encadrer le développement, la mise sur le marché et l’utilisation de systèmes d’intelligence artificielle (IA), qui peuvent poser des risques pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux et repose sur une approche par les risques.
Quels sont les principaux enjeux concernant la réglementation de l’IA à l’échelle européenne ?

L’utilisation croissante de l’IA a permis des gains d’efficacité importants, mais elle a également suscité des inquiétudes concernant la protection des données, les biais algorithmiques et la perte d’interaction humaine. Consciente de ces défis, l’Union européenne (UE) a jugé nécessaire d’encadrer l’usage de l’IA afin de garantir que son utilisation ne se fasse pas au détriment des droits fondamentaux ou de la dignité humaine. Cela s’avère particulièrement crucial dans les secteurs sensibles tels que le recrutement et la gestion des ressources humaines.

Le règlement européen récemment adopté, qui établit des règles harmonisées sur l’intelligence artificielle, s’aligne sur la définition de l’IA de l’OCDE et couvre un large éventail de domaines. Ce cadre législatif classe notamment les systèmes d’IA utilisés dans le recrutement, la sélection et la gestion des talents comme étant « à haut risque », dès lors qu’ils présentent un risque important pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux des individus.

Les outils largement utilisés dans le secteur des ressources humaines, tels que les systèmes de correspondance de profils, les chatbots et autres technologies d’automatisation du recrutement, sont souvent concernés par cette classification. Cette réglementation impose donc des exigences strictes en matière de conformité, ce qui pourrait freiner l’innovation et alourdir les coûts opérationnels pour les entreprises.

Cependant, cette législation offre aussi des opportunités considérables. En instaurant des normes claires, elle vise à renforcer la confiance dans les technologies d’IA et à garantir leur utilisation responsable. Cela pourrait encourager le développement d’outils d’IA plus éthiques et transparents, tout en stimulant l’innovation. C’est dans cette perspective que la World Employment Confederation-Europe soutient pleinement cette approche, puisque nous prônons une utilisation responsable et bénéfique de l’IA pour améliorer le fonctionnement du monde du travail.

Maintenant que la directive européenne est adoptée (IA Act), pensez-vous que les gardes fous sont suffisants pour encadrer l’usage des IA en matière de RH ?

Pour la catégorie des systèmes d’IA à haut risque, tels que ceux utilisés dans le recrutement et la gestion des ressources humaines, plusieurs garanties sont mises en place pour assurer une utilisation responsable. Ces garanties incluent la mise en œuvre d’un système de gestion des risques complet, obligeant les entreprises à identifier et à traiter continuellement les risques tout au long du cycle de vie des systèmes d’IA. Un aspect clé de cette gestion est la gouvernance des données, qui impose que les données utilisées pour entraîner et tester les IA soient précises, représentatives et complètes, afin de réduire les biais et d’assurer des prises de décision équitables.

En outre, la réglementation exige une documentation rigoureuse et une tenue de registres pour démontrer la conformité et surveiller en continu le fonctionnement des systèmes d’IA. La transparence joue également un rôle central : les entreprises doivent fournir des informations claires et accessibles sur le fonctionnement de leurs systèmes.

L’une des garanties les plus cruciales est la supervision humaine. Cela implique que les décisions importantes restent sous le contrôle de personnes physiques, un superviseur humain, pour prévenir toute décision autonome de l’IA qui pourrait avoir des conséquences négatives sur les individus.

En plus de ces mesures, la loi exige des évaluations d’impact, des audits de conformité, et l’enregistrement des systèmes d’IA à haut risque dans une base de données centralisée de l’UE.

Nous considérons que ces garanties constituent un cadre solide pour l’utilisation de l’IA dans les services RH. Toutefois, nous sommes convaincus que l’industrie doit rester proactive dans l’adoption de pratiques éthiques et responsables. Des initiatives volontaires, telles que le Code de principes éthiques pour l’utilisation de l’intelligence artificielle, adopté par notre secteur sont des outils essentiels pour renforcer la confiance dans ces technologies.

Comment WEC-Europe va-t-elle soutenir ses membres dans la mise en œuvre de cette règlementation ?

Nos groupes de travail sur la digitalisation et la protection des données finalisent actuellement une « boîte à outils » spécialement conçue pour les services RH. Ces ressources se concentreront sur des domaines essentiels, tels que l’explicabilité et la transparence ainsi que l’inclusivité et la lutte contre les biais. Ces aspects sont au cœur du règlement européen sur l’IA, et ils visent à garantir que les systèmes d’IA ne se contentent pas d’être conformes aux normes légales, mais qu’ils soient également équitables, transparents et inclusifs.

Bien que cette boîte à outils soit encore en phase de développement, nos membres peuvent déjà s’appuyer sur le Code de principes éthiques pour l’utilisation de l’intelligence artificielle, adopté par notre confédération mondiale en 2023. Ce code promeut une approche centrée sur l’humain, garantissant que l’IA soit utilisée de manière éthique et que la supervision humaine reste une composante essentielle des processus décisionnels.

Cette combinaison de ressources pratiques et de principes éthiques offre une aide précieuse à nos membres pour s’aligner sur les exigences réglementaires, tout en promouvant une utilisation de l’IA qui bénéficie à la fois aux employeurs et aux candidats.

Comment ces développements au niveau européen s’articulent-ils avec les initiatives adoptées dans d’autres juridictions ou instances internationales ? Comment WEC va-t-elle accompagner ces réflexions ?

De nombreuses juridictions au-delà de l’Union européenne s’efforcent également de réguler l’intelligence artificielle, chacune adoptant sa propre approche. Aux États-Unis, par exemple, la réglementation de l’IA varie d’un État à l’autre, tout en étant complétée par des initiatives fédérales. Parmi celles-ci figurent le Plan de la Maison Blanche pour une Déclaration des droits en matière d’IA publié en octobre 2022, ainsi que le décret pour une IA sûre, sécurisée et digne de confiance émis en octobre 2023. Ces efforts traduisent une volonté croissante d’aligner les systèmes d’IA sur les valeurs démocratiques et les droits de l’homme.

Le Brésil a mis en place une législation similaire à celle de l’UE en décembre 2024 et le Canada s’inscrit en 2025 dans une démarche comparable. Dans d’autres pays, comme l’Argentine, l’Australie, l’Inde et le Japon, des approches de “soft law” sont privilégiées. Cela montre une tendance mondiale à établir des cadres de gouvernance pour l’IA, avec des niveaux d’intensité réglementaire variables selon les régions.

« Le règlement européen sur l’IA reste une législation pionnière, et il est probable que de nombreux pays s’en inspireront pour élaborer leurs propres lois. »

Les organisations internationales jouent également un rôle clé dans la structuration de la gouvernance mondiale de l’IA. Les Principes de l’OCDE sur l’IA, amendés en novembre 2023, les Principes directeurs internationaux sur l’IA adoptés par le G7, et la Déclaration de Bletchley sur la sécurité de l’IA sont autant de lignes directrices influentes pour les nations qui cherchent à encadrer ces technologies. L’établissement en octobre 2023 d’un organisme consultatif des Nations Unies sur l’IA renforce encore l’effort global pour harmoniser les réglementations.

La World Employment Confederation suit de près ces développements grâce à son réseau mondial de membres. Elle entretient également un dialogue actif avec des organisations internationales telles que l’OCDE, afin de plaider pour des cadres politiques équilibrés qui permettent l’innovation technologique tout en garantissant la protection des droits des travailleurs. Un équilibre entre la technologie et la dimension humaine : c’est cela que nous prônons !

Sonja van Lieshout
Sonja van Lieshout
Présidente de WEC-Europe (World employment confederation) et membre du conseil d’administration et du comité exécutif de WEC-monde, Sonja Van Lieshout contribue de manière stratégique au développement du secteur de l’emploi et du recrutement au niveau mondial et européen.

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