Alexandre Pham, créateur du groupe Mistertemp’, démontre que, contrairement aux idées reçues, le moyen de trouver un emploi n’a en réalité rien à voir avec le statut contractuel du travailleur. Il décrypte les conséquences du modèle de certaines plateformes.
L’ère digitale redessine les contours du marché du travail, brouillant les lignes entre les sources d’emploi, désormais largement numérisées, et les formes de collaboration, oscillant entre travail indépendant et salariat. Cette évolution a donné naissance à une idée reçue : le freelancing serait la panacée pour répondre aux aspirations modernes de flexibilité et d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Portée par un écart de charges conséquent, la multiplication des plateformes incite à la création de profils de micro-entrepreneurs : en découle la fameuse “ubérisation”, source de certaines dérives préjudiciables.
En quoi le digital a-t-il modifié l’intérim ?
Lancé en 2009, le groupe Mistertemp’ a investi massivement dès 2016 dans des outils digitaux pour rendre plus rapide et plus efficace la mise à disposition de personnel temporaire auprès d’entreprises.
Concrètement, un candidat recherchant un emploi n’a plus besoin de “passer” dans une agence physique. Il répond à une annonce en ligne. Depuis son téléphone, il prend en photo son CV, qui est automatiquement interprété, et ses documents d’identité et ses diplômes. Avec le soutien de l’intelligence artificielle, ce profil est proposé à toutes les entreprises potentiellement intéressées par sa candidature. Contacté par SMS, il peut accepter un emploi salarié et signer un contrat de travail électroniquement, en quelques clics. Cette simplicité et cette réactivité permettent de mettre en poste des candidats, même pour des missions de quelques heures. En 2023, le groupe a ainsi fait travailler près de 60 000 salariés intérimaires.
Pour autant, c’est bien un contrat de travail en bonne et due forme qui est signé. Ainsi, le salarié intérimaire bénéficie de toute la protection sociale inhérente au salariat : cotisations retraite, assurance chômage, assurance maladie et accident du travail, paiement des congés payés et de l’indemnité de fin de mission de 10 % propre à tout contrat de travail temporaire… et nous nous conformons aux obligations d’égalité de traitement : la rémunération du travailleur est calquée sur celle d’un salarié permanent dans l’entreprise dans laquelle il est envoyé.
« Le contrat de travail temporaire est un contrat finalement extrêmement moderne »
Alexandre Pham, Président de Mistertemp’ group
Pourquoi l’activité de certaines plateformes de mise à disposition d’autoentrepreneurs sont-elles dommageables à votre activité ?
Notre groupe démontre que l’innovation technologique, et la fluidité et les créations d’emploi qui en découlent, peuvent se faire sans déroger au cadre contractuel en vigueur. Un statut de “travailleur des plateformes” n’a pas – selon moi – de sens. On peut être salarié et trouver un emploi au travers d’une plateforme en ligne, et être freelance en ayant trouvé son client sans passer par une quelconque plateforme.
Cette confusion est un enjeu majeur car le paysage numérique actuel est également le théâtre de pratiques préoccupantes. Certaines plateformes, en proposant des offres alléchantes – que ce soit par des prix anormalement bas pour les entreprises ou par des promesses de rémunérations élevées pour les travailleurs – mettent en péril le tissu même de notre protection sociale et des droits des travailleurs. Ces stratégies, attrayantes en apparence, masquent une réalité bien plus sombre : l’érosion des contributions sociales et des allocations, compromettant directement la sécurité et le bien-être des individus.
Mistertemp’ group s’oppose résolument à cette course vers le bas. De notre point de vue, le contrat de travail temporaire est un contrat finalement extrêmement moderne. Il permet une grande flexibilité pour le travailleur et l’entreprise, tout en préservant un équilibre de droits responsable.
L’adoption le 11 mars de la directive européenne sur l’amélioration des conditions de travail des personnes travaillant via une plateforme de travail numérique est une avancée significative et nous accueillons avec optimisme sa future transposition en droit français. Elle promet de clarifier le statut professionnel des personnes travaillant via des plateformes numériques, en créant au niveau européen une présomption de salariat, éliminant ainsi toute ambiguïté juridique.
Quel rôle peuvent jouer les associations professionnelles ?
Au sein de l’association professionnelle Croissance Plus par exemple, nous œuvrons à la définition de critères clairs qui détermineront de façon transparente le véritable statut d’indépendance.
Prism’emploi joue un rôle essentiel dans cette démarche, en agissant comme porte-voix d’un marché du travail temporaire en pleine réinvention, où chaque mission contribue à l’édification d’un travail digne et respecté, une « flexibilité responsable » en somme.
En conclusion, le salariat flexible n’est pas une utopie, mais une réalité concrète. Nous démontrons que les contrats de courte durée peuvent, et doivent, rimer avec droits et protections. C’est dans cet esprit que nous avançons, déterminés à redéfinir les standards du travail temporaire, pour un avenir où innovation et équité marchent main dans la main.