Prism’emploi a adopté le code de 10 principes éthiques pour le développement et l’usage d’outils utilisant l’intelligence artificielle, de la confédération mondiale de l’emploi (World Employment Confederation). Denis Pennel, Directeur Général de WEC, commente pour Prism’emploi le Blog, l’importance de ces 10 principes pour que le secteur saisisse les opportunités de l’IA tout en réaffirmant le rôle d’inclusion par l’emploi du secteur et en respectant les droits des individus.
WEC a été précurseur en créant un code éthique pour l’utilisation de l’intelligence artificielle il y a deux ans. Pourquoi s’être positionné sur ce sujet ?
La World Employment Confederation a toujours eu pour vocation d’anticiper les transformations du marché du travail et de les accompagner de manière responsable. L’intelligence artificielle (IA), en pleine expansion, représente une opportunité formidable pour améliorer l’efficacité des processus de recrutement et de gestion des talents. Toutefois, son utilisation soulève aussi des enjeux éthiques majeurs, notamment en matière de transparence, d’équité et de respect des droits individuels.
En tant qu’organisation représentative du secteur des services RH, nous avons estimé qu’il était de notre responsabilité d‘intégrer ces technologies dans le domaine de l’emploi de façon responsable. En créant ce code de conduite, nous avons cherché à définir des principes clairs afin de guider les acteurs du secteur dans l’utilisation de l’IA.
Notre positionnement précoce sur ce sujet témoigne de notre engagement à construire un monde du travail où les technologies sont utilisées de manière juste et bénéfique pour tous.
Sur quels enjeux majeurs vous êtes-vous concentrés pour rédiger les 10 principes éthiques ?
Maintenir l’humain au cœur de chaque décision est le fondement de notre code. Plusieurs de nos principes soulignent l’importance de l’intervention humaine dans les processus faisant appel à l’IA, que ce soit dans sa conception, son déploiement et son utilisation.
Nous avons également mis un point d’honneur à garantir l’équité et la non-discrimination. L’IA a le potentiel de reproduire ou même d’amplifier les biais existants, ce qui pourrait conduire à des pratiques discriminatoires.
Nous avons également insisté sur la protection des données. L’utilisation de l’IA dans notre secteur d’activité doit protéger les individus contre toute utilisation abusive de leurs informations personnelles.
La transparence est un autre enjeu central. Les décisions prises par l’IA doivent être compréhensibles et explicables, tant pour les entreprises que pour les candidats. Cette transparence est cruciale pour instaurer la confiance dans les nouvelles technologies. Ce principe va de pair avec la notion de responsabilité. Il est essentiel que les personnes qui déploient des systèmes d’IA restent, à tout moment, responsables de leur utilisation.
La plupart de ces principes sont présents dans le code de conduite de notre Confédération auquel tous nos membres se conforment. En ce sens, notre travail en faveur d’une utilisation éthique de l’intelligence artificielle s’inscrit parfaitement dans notre volonté de garantir des services de qualité, responsables et professionnels.
Quelles tâches font appel à l’IA en matière de ressources humaines et quels sont les principaux risques identifiés ?
Dans les RH, les tâches utilisant l’IA vont de la planification des effectifs, au recrutement des candidats, à la gestion de leur performance et à l’engagement des travailleurs.
L’IA peut aider à prévoir les besoins futurs en main-d’œuvre en analysant les données historiques et les tendances actuelles. Cela peut inclure la gestion des talents, l’identification des besoins en formation, et l’optimisation des ressources humaines en fonction des objectifs stratégiques de l’entreprise.
Une fois le processus de recrutement entamé, l’IA est utilisée pour trier et analyser les CV, identifier les profils les plus adaptés, et même mener des entretiens préliminaires via des chatbots. Ces outils peuvent réduire le temps de recrutement et permettre d’assurer un feed-back à chaque candidat, ce qui améliore grandement leur expérience lors du processus de recrutement. Pour le professionnel RH, cela permet notamment d’éviter certaines tâches plus répétitives et se concentrer sur l’aspect humain du processus.
« Utilisée de façon responsable, l’IA peut être un formidable outil au service de l’humain, nous permettant de faciliter le travail des recruteurs, d’améliorer l’expérience des candidats et de construire un marché du travail plus inclusif. »
L’intelligence artificielle présente donc un fort potentiel pour faciliter le parcours à la fois des salariés et des employeurs. Mais son utilisation n’est pas sans risques. Une des principales inquiétudes est que les algorithmes reproduisent ou exacerbent les biais existants et renforcent ainsi le risque de discrimination.
Ce risque est lié au manque de transparence dans la mise en œuvre des dispositifs utilisant l’intelligence artificielle. Les processus décisionnels basés sur l’IA peuvent être perçus comme des « boîtes noires ».
L’utilisation massive de données par l’IA soulève aussi des préoccupations quant à la protection des données personnelles. Le risque est que des données sensibles soient mal utilisées ou exposées. Enfin, beaucoup craignent une déshumanisation des relations de travail si l’IA prend en charge une part accrue des tâches
Qu’est-ce que l’IA apportera au marché du travail temporaire ?
L’IA va aider le secteur du travail temporaire à prendre un rôle beaucoup plus stratégique et à conseiller plus efficacement les entreprises utilisatrices et les candidats. Grâce à l’information récoltée et analysée par l’IA, les consultants vont pouvoir mieux anticiper les besoins, que ce soit en termes de recrutement ou de formation.
Grâce à l’automatisation de nombreuses tâches, l’IA va aussi faciliter le travail des consultants et leur permettre de se concentrer sur ce pourquoi ils se sont engagés dans ce métier : les personnes ! Le cœur de nos métiers reste la relation humaine. Les conseillers préfèrent discuter avec les candidats ou les clients plutôt que d’alimenter des bases de données !
Le potentiel de l’IA pour améliorer l’expérience utilisateur, par exemple en offrant des interfaces personnalisées, des recommandations de missions basées sur leurs préférences et des parcours de carrière mieux définis, peut également contribuer à rendre le travail temporaire plus attractif et amener de nouveaux candidats à choisir cette forme de travail.
Il est indiqué que le code regroupe “un ensemble vivant de principes”. Des changements sont-ils déjà à envisager au vu du développement rapide de l’IA ?
L’adoption, le 13 juin dernier, du règlement européen instaurant des règles harmonisées en matière d’intelligence artificielle (IA Act) marque une étape clé qui nous conduira probablement à ajuster nos principes. Notre fédération européenne demeure vigilante quant à la mise en œuvre de cette législation et nous continuons à suivre de près les propositions de loi émergeant dans d’autres pays.
Par ailleurs, nous n’en sommes qu’aux prémices du déploiement de l’IA dans le monde du travail. Selon notre récente enquête auprès de plus de 700 chefs d’entreprises à travers le monde (The Work We Want), 81 % estiment que l’IA et d’autres innovations technologiques obligeront les organisations à repenser radicalement leurs besoins en termes de ressources humaines. 78 % pensent que leur organisation n’est pas apte à former ses salariés suffisamment rapidement pour suivre les évolutions technologiques dans les trois prochaines années.
L’IA pourra nous aider à résoudre les problèmes de formation et de recrutement. Elle pourrait même remplacer certaines fonctions ! Nous devrons être attentifs à ces évolutions et aux risques associés à une utilisation plus massive de l’IA. Néanmoins, je ne crois pas que l’IA détruise massivement des emplois. Dans la majorité des cas, elle transformera leur contenu. Développer la formation pour que l’outil soit réellement maîtrisé est clé… pour que l’humain reste, encore et toujours, au cœur du sujet !